La restitution des objets extra-européens
et la question de leurs provenances
C’est avec conviction et enthousiasme qu’Emilie Salaberry a clarifié dans un premier temps, la problématique de la restitution du patrimoine extra-européen, puis, dans un second temps, présenté son implication et celles des équipes du Musée d’Angoulême dans ce processus.
1) Une problématique complexe
La question de la restitution des biens culturels a émergé dès les indépendances.
En novembre 2017, lors d’un discours prononcé à Ouagadougou, Emmanuel Macron déclarait : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique » dont les éléments conservés dans les musées français. Suite à ce discours, Felwinn Sarr et Bénédicte Savoy ont, à la demande du Président de la République, rédigé un rapport sur « la restitution du patrimoine culturel africain, vers une nouvelle éthique relationnelle ».
Ce rapport, publié le 23 novembre 2018, avait comme objectif d’évaluer la provenance des collections publiques françaises, ainsi que les revendications et les motifs et les processus à suivre pour d'éventuelles restitutions.
Les auteurs y identifient également des mesures pour des relations culturelles plus équilibrées.
Ils s’appuient sur le constat que la quasi-totalité du patrimoine matériel des pays d’Afrique situés au sud du Sahara se trouve conservée hors du continent africain dont 88 000 dans les collections publiques françaises pour la plupart dérobées pendant la colonisation.
Dans le contexte colonial les rapports de domination de l’époque invitent à postuler l’absence de consentement des populations locales lors de l’extraction des objets et à considérer que les acquisitions ont été obtenues par la violence, la ruse ou dans des conditions iniques. La question de la provenance apparaît donc essentielle ! Présenté au public le 23 novembre 2018, ce rapport a suscité de nombreuses réactions, particulièrement dans le monde muséal.
Actuellement, les exigences légales pour des restitutions posent des obstacles considérables. En France, tous les biens publics sont considérés comme inaliénables (loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France).
La restitution de leur patrimoine culturel aux africains est un véritable enjeu éthique et diplomatique qui s'inscrit dans le contexte des relations politiques françaises avec l'Afrique. Ainsi lors de la restitution au Sénégal, le 17 novembre 2019, du sabre d’Omar Saïdou Tall, le premier ministre de l’époque le remettait au président sénégalais Macky Sall avant de signer un important contrat de vente d’armes.
L’ensemble des anciennes puissances coloniales sont aujourd’hui confrontées à la problématique des restitutions, même si leurs réponses diffèrent au regard de leurs traditions muséales.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger l'impact du marché de l'Art sur la conservation du patrimoine africain. Des sites archéologiques sont pillés et de nombreuses pièces sont achetées ou volées pour être revendues. Des collectionneurs étrangers profitent ainsi des crises, guerres ou famines pour s’approprier via des trafiquants, des biens cultuels ou archéologiques. C'est dans ce contexte que l’office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) lutte contre le trafic des biens culturels, une délinquance organisée dégageant des profits particulièrement importants.
En septembre 2021, « Le Monde en musée », a été publiée sur Internet par l'Institut National d'Histoire de l'Art (INHA). Il donne accès à une carte annotée des objets d'Afrique et d'Océanie dans les collections publiques françaises. Il a été conçu comme un outil de recherche accessible au public et un lien entre les musées et les institutions de recherche, quelle que soit leur localisation dans le monde. Pour chacune des collections, le nom officiel avec la description de ses fonds, ainsi que des informations sur leur provenance sont donnés. Il est le rejeton de l’annuaire de professionnels Kimuntu dont Emilie a été l’une des initiatrices.
En conclusion, la promulgation d’une loi cadre sur les biens issus de contexte coloniaux, dont l’absence dans la législation française bloque le processus, est une impérieuse nécessité.
2) Un engagement ancien au Musée d’Angoulême
Après avoir souligné l’engagement ancien des équipes angoumoisines et rendu hommage à Etienne Féau, Emilie a exposé les actions de coopération avec des musées africains. Elle a également évoqué sa participation au comité de pilotage de la mission provenance.
Elle a rappelé le rôle important de Jean-Gabriel Gauthier dans la connaissance du pays Fali (nord Cameroun) et raconté l’itinéraire tortueux suivi par les pièces archéologiques qu’il avait découvertes et qui, à son décès, avaient été déposées au Musée d’Angoulême dans l’attente d’une décision de l’Etat Camerounais. Elle a relaté à cette occasion l’exposition au Musée national du Cameroun à Yaoundé « Le Nord Cameroun, entre dynamiques passées et présentes » qui présente des œuvres dont des dépôts issus des collections angoumoisines.
Elle est ensuite revenue sur le fonds extra-européen du Musée d’Angoulême. En effet, si le musée d'Angoulême rassemble en son sein l'une des plus belles collections nationales d'arts africain et océanien - il est le 5ème en France à détenir le plus grand nombre d'objets d'art (environ 5 000) - il le doit au legs du Dr Jules Lhomme, médecin de La Rochefoucauld, qui avait constitué une collection de plus de 3 000 objets en provenance majoritairement d'Afrique mais également des autres continents.
Le contexte de collecte étant méconnu, des recherches en provenance ont été réalisées par l’équipe du musée, notamment à partir de la correspondance et du cahier d’inventaire du Dr Jules Lhomme. S'il a été établi qu’il avait dans son entourage une ou deux personnes ayant eu un contact direct avec l’Afrique, la récurrence d’achats par lots et non à l’unité au port de Bordeaux interroge. La corrélation entre sa correspondance, le trafic portuaire et ses acquisitions pourrait être une piste de recherche pour clarifier les conditions d’acquisition des objets collectionnés.
Elle a annoncé la refonte du parcours permanent d’ici 4 ans qui sera l’occasion d’expliquer le travail sur la constitution et la provenance des collections.
Petite documentation :
Livres : Les otages, contre-histoire d’un butin colonial Taina Tervonen, éd. Marchialy; L'Afrique fantôme, Michel Leiris, éd. Gallimard
Vidéo : Interview d’Emilie Salaberry : https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/charente/angouleme/angouleme-polemique-restitution-non-oeuvres-africaines-1596641.html
Rapports : La restitution du patrimoine culturel africain, vers une nouvelle éthique relationnelle, Felwinn Sarr et Bénédicte Savoy.
https://www.vie-publique.fr/rapport/38563-la-restitution-du-patrimoine-culturel-africain
Mission d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques, Max Brisson et Pierre Ouzoulias. https://www.senat.fr/rap/r20-239/r20-239-syn.pdf
Film : Dahomey, Mati Diop