L’occupation allemande à Angoulême
Marie-Reine Bernard a présenté cette période noire de la ville.
Elle a rappelé que les angoumoisins furent frappés de stupeur, de désarroi et de chagrin quand la division SS Das Reich — responsable de nombreux massacres sur le front de l’Est (Biélorussie) et Ouest (Tulle, Oradour sur Glanes) — entrait le 24 juin 1940 dans Angoulême. L’armée allemande prenait ce jour-là le contrôle d’un nœud de communication stratégique (ferroviaire et routier) et faisait main basse sur les installations industrielles de la ville et de ses environs (fonderie, poudrerie, carrière). Angoulême se trouvait en zone occupée, sous autorité allemande. Elle était le siège d'une Feld Kommandantur. La ligne de démarcation passait à environ 20 km à l'est d'Angoulême, dans la forêt de la Braconne, scindant le département en deux. La commune de Bouëx se trouvait en zone occupée et celle de Vouzan en zone libre.
Elle expliqua que la résistance s’organisa et prit de l’ampleur avec l’instauration en 1943 du service du travail obligatoire (STO).
De cette conférence passionnante et particulièrement dense voici quelques points forts.
1) Le premier convoi de déportation parti de France et d’Europe vers les camps nazis, 20 août 1940
En 1939, près de 500 000 réfugiés espagnols fuyaient leur pays après trois ans de guerre civile et la prise de pouvoir par Franco. Plus de 4 000 arrivèrent en Charente. Ils furent rassemblés dans des camps d’internement notamment celui de la Combe aux loups à Ruelle et celui des Alliers à Angoulême. Ce dernier servit de camp de concentration pour les gens du voyage jusqu'en juin 1946. Le 20 août 1940, les Allemands aidés des autorités françaises organisaient une rafle des réfugiés espagnols du camp des Alliers (considérés comme des rouges indésirables). Conduits à la gare d’Angoulême 927 femmes, hommes et enfants furent déportés au camp de concentration de Mauthausen. A leur arrivée, les femmes et les enfants de moins de 13 ans repartirent dans le même train pour être livrés à Irun aux troupes franquistes. 73 hommes sur les 470 déportés survécurent. Ainsi, c’est depuis Angoulême qu’est parti de France le premier convoi de déportation vers un camp nazi. Ce fut également le premier en Europe.
2) L’honneur de Marcellin Leroy
En 1939, l'entreprise Leroy (future Leroy-Somer) se transformait en usine de fabrication d'obus. Elle ne devint opérationnelle qu'en mai 1940, quinze jours avant la défaite. Pour que cet outil de production ne tomba pas aux mains des Allemands, Marcellin Leroy cassa lui-même, à coups de masse, tout ce qui venait d’être construit et cacha le matériel qui pouvait l'être dans sa propriété de Torsac où jusqu’en 1945 il employa une quarantaine d'ouvriers.
3) La voie de la collaboration, Marcel Déat
Marcel Déat, membre de la SFIO en 1930, ministre en 1936, élu en 1939 député de la Charente est le fondateur en 1941 du Rassemblement National Populaire (RNP) et un chantre de la collaboration. Anticommuniste, partisan d’une « révolution nationale et populaire », Déat fut le premier théoricien de la collaboration, d’autant qu’il était persuadé de la victoire militaire de l’Allemagne. En mars 1944, ministre du Travail et de la Solidarité nationale de Vichy il fut notamment chargé du Service du travail obligatoire. Réfugié dans un couvent italien, il y mourut le 5 janvier 1955.
4) Le veld’hiv d’Angoulême, 8 octobre 1942,
Le 8 octobre 1942, à l’aube, débute une vaste opération policière. Voulue par les allemands, elle mobilise les forces de police et de gendarmerie du département. Cette nuit-là et les jours suivants, 442 juifs sont arrêtés, dont un grand nombre d’enfants et de nourrissons. Les familles furent « regroupées » dans la salle philharmonique, aujourd’hui conservatoire de musique Gabriel-Fauré. Elles y demeurent plusieurs jours, dans des conditions épouvantables.
Le 15 octobre 1942, 389 personnes (hommes, femmes, vieillards, enfants et nourrissons) furent transportées en train au camp de Drancy puis déportées au camp d’Auschwitz-Birkenau. Il y eut dix survivants.
Certains charentais refusèrent la volonté exterminatrice nazie et résistèrent à la barbarie en cachant et protégeant des juifs. 23 Charentais ont reçu le titre de « Juste parmi les Nations ».
5) Des figures de la résistance
- Gontran Labrégère (19 ans) : Le 21 octobre 1941, il tentait avec son ami Jean Pierre Rivière d'incendier un train de paille et de munitions. Pris il est fusillé par l’occupant. C'est le premier des 98 résistants ou otages charentais fusillés.
- Andrée Gros (née Duruisseau) habitait avec sa famille la commune de Bouëx à 3 kms de la ligne de démarcation. Agée de 15 ans, elle s’engagea avec ses proches dans la résistance. Le 15 mars 1944 la Gestapo l’arrêtait. Torturée à la prison d’Angoulême, elle fut déportée à Ravensbruck puis Buchenwald. Elle réussit à s’évader lors des « marches de la mort ». Elle avait 17 ans quand elle revint à Angoulême en juin 1945.
Témoignant sans relâche, elle rappelait inlassablement : « Les femmes ont beaucoup souffert à cette période de l'histoire. Elles ont été oubliées.».
- René Chabasse intégra à la fin de 1940 un groupe de Résistance en liaison avec Londres. Il contribua à partir de mars 1941 à organiser une filière de passage de la ligne de démarcation entre Bouëx et Vouzan pour des hommes et du courrier. A l’automne 1941, sur proposition du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) — le service de renseignement et d'actions clandestines de la France Libre— René Chabasse remplira des missions en Bretagne, en Normandie et dans les Pyrénées parcourant à vélo la côte atlantique afin de recueillir des renseignements sur les troupes allemandes et leurs infrastructures. Il participa à l’organisation et à la réception de parachutages. Le 21 février 1944 René Chabasse fut arrêté. Il fut abattu au cours de sa tentative d’évasion.
- Claude Bonnier, démobilisé en août 1940, il s’engagea rapidement dans la Résistance. Sous le pseudonyme d’Hypoténuse, il réorganisa l’ensemble des forces de la Résistance pour le Sud-Ouest. Il donna le nom de « Bir Hacheim » aux maquis de Charente qu'il avait restructurés. A la Libération d’Angoulême ce maquis représentait une force de 4 244 combattants dont 1 800 continueront à se battre jusqu’au 8 mai 1945 (libération de Royan et de La Rochelle).
Le 9 février 1944 il fut arrêté à Bordeaux. Emmené au siège de la Gestapo, il se suicida après son premier interrogatoire au moyen d’une capsule de cyanure.
6) La libération, 31 août 1944,
15 juin et le 14 août 1944, la gare fut la cible des bombardiers américains occasionnant peu de pertes aux forces allemandes mais entrainant la mort de 138 habitants, détruisant 400 maisons et faisant 5 000 sinistrés.
Le 31 août 1944, des unités FFI du département (maquis de Bir Hacheim, Groupe Soleil, Section spéciale de sabotage, etc.) et des renforts venus de Dordogne prennent la ville d’assaut et mettent en fuite la garnison allemande. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre la ville est libérée. Cette bataille fait 51 victimes dans les rangs des différentes unités engagées.
La libération fut suivie d’une épuration « sauvage » puis « contrôlée » illustrée notamment par le procès de Marcel Blum. Cet interprète lorrain de 25 ans, qui s’était mis service de la Gestapo, participa activement à la répression et aux tortures contre les membres de la résistance. Le 24 juin 1945, il fut condamné à mort par la Cour de justice de la Charente.
Sources documentaires
- L'espace mémoriel de la Résistance et de la Déportation, rue de Genève.